Cerveau et besoins en oméga-3

Acides gras essentiels, notre cerveau en redemande !

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Paru dans le magazine Biocontact n°321, disponible gratuitement en boutiques bio en mars 2021

Ils sont présents à tous les niveaux de la communication cérébrale. Pourtant, les examens biologiques de micronutrition révèlent souvent un déficit chez beaucoup de gens. D’abord parce que nous en consommons des quantités insuffisantes, ensuite parce qu’ils sont très mal assimilés par un intestin et un foie fragilisés. Pourquoi devrions-nous vérifier les niveaux ? Quel est véritablement le rôle, en particulier pour la santé cérébrale, de ces précieux nutriments ?

Petits rappels de biochimie. Les acides gras saturés, ce sont des bûches à brûler pour fournir de l’énergie. Il en faut mais pas trop, car ils sont vite stockés, vous savez, dans les poignées d’amour. Nous n’en parlerons pas ici parce que le cerveau ne brûle que des sucres. Ce qui nous intéresse, ce sont les acides gras qui servent de structure au cerveau. Principalement les acides gras polyinsaturés (AGPI), qui incluent les oméga-6 et les fameux oméga-3. Ces derniers sont les plus fluides car ils comptent davantage de double-liaisons avec des atomes carbones. L’oméga-3 de base, l’acide alpha-linolénique (ALA), est fourni par notre alimentation. On en trouve notamment dans certaines huiles végétales (colza, noix), dans la verdure (salade, mâche, épinards) et les oléagineux (noix, noisettes, amandes). Les sources sont donc principalement végétales. À partir de l’ALA, notre organisme va pouvoir fabriquer deux autres acides gras, l’EPA et le DHA, que l’on retrouve aussi dans les huiles de poisson.

Les acides gras, indispensables pour le cerveau

Aucun nutriment n’a été autant étudié que les oméga-3 et la littérature scientifique ne cesse de s’enrichir. Que savons-nous aujourd’hui ? Qu’ils sont indispensables à la souplesse de la membrane des neurones, à l’acheminement des neurotransmetteurs, à l’oxygénation cérébrale et au contrôle de l’inflammation.

Un neurone, c’est d’abord une cellule et comme toute cellule, elle possède une membrane et des récepteurs pour communiquer. La qualité des échanges cellulaires dépend avant tout de la souplesse de la membrane. Pour un neurone, c’est primordial. Cette membrane est constituée principalement de lipides. Un manque de diversité des acides gras va entraîner une rigidité, synonyme d’une activité cérébrale ralentie. Il est démontré qu’une augmentation de la consommation d’oméga-3, souvent le maillon faible, peut rétablir cette activité. Le célèbre psychiatre David Servan-Schreiber, dans son livre Guérir le stress, l’anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse, évoque plusieurs cas de troubles psychiatriques pour lesquels l’administration d’oméga-3 a constitué un tournant thérapeutique décisif.

La transmission d’un influx nerveux se fait le long des axones par un signal électrique. Mais pour passer d’un neurone à l’autre, pour traverser cet espace qu’on appelle une synapse, l’influx a besoin d’un support chimique, une molécule qui va lui servir de passeur : c’est le neurotransmetteur. Vous connaissez sûrement la sérotonine, la dopamine ou l’adrénaline. Sur l’autre berge, des récepteurs attendent chaque type de neurotransmetteur. La sensibilité de ces récepteurs est dépendante de l’EPA. Ensuite, le neurotransmetteur a besoin du DHA pour entrer dans le neurone et provoquer un nouvel influx électrique.

La régulation de l’inflammation, réponse immunitaire nécessaire mais vite débordante, dépend des acides gras. Or, nous savons aujourd’hui que dans les troubles psychiatriques rebelles, il existe une inflammation cérébrale. Et qu’il existe aussi des leviers pour agir sur celle-ci. Le statut en acides gras en est un. Les acides gras oméga-3 sont connus pour leur contribution à un climat physiologique anti-inflammatoire, notamment comme précurseurs des prostaglandines qui encadrent l’inflammation. Les PGE-1 évitent les dégâts collatéraux pendant la bataille, tandis que les PGE-3 s’assurent que les soldats rentrent calmement à la caserne une fois la bataille terminée. Les PGE-2 sont pro-inflammatoires, elles stimulent les soldats. Elles sont produites à partir d’acide arachidonique, le seul oméga-6 dont il vaut mieux limiter la consommation. Attention aux cacahuètes et arachides !

Enfin, un cerveau en bonne santé, c’est un cerveau bien oxygéné. Les globules rouges doivent arriver partout en quantité suffisante. Problème : le diamètre des capillaires sanguins est inférieur à celui d’un globule rouge. Comment parvient-il à se frayer un chemin ? Grâce aux oméga-3 qui lui permettent de se replier.

Des oméga-3, oui, mais lesquels ?

Des années durant, on a fait la chasse au beurre et aux graisses saturées, en les associant abusivement à l’excès de cholestérol. On nous a fait passer aux graisses végétales, réputées bonnes pour le cœur. Et comme chez nous on aime bien tartiner, les margarines végétales se sont imposées. Généralement à base d’huile de colza, elles sont certes riches en oméga-3 mais il s’agit d’acide alpha-linolénique (ALA) qui est précurseur de l’EPA. Pour produire de l’EPA à partir de l’ALA, le foie utilise une enzyme appelée delta-6 désaturase. Or, celle-ci ne fonctionne plus passé 70 ans, et elle fonctionne très mal chez les personnes stressées (en excès de cortisol et d’adrénaline), dans l’hyperthyroïdie, chez les diabétiques et les obèses, en cas d’excès d’acides gras trans ou de carence en magnésium, vitamine C ou B6. Cela fait beaucoup de cas. Les personnes concernées par cette limitation biologique sont justement les cibles principales du marketing de ces margarines. Impossible pour les fabricants de l’ignorer. Publicité mensongère ? En consommer davantage n’y changera rien. C’est un peu comme si vous apportiez davantage de patates pour faire tourner une friterie, alors que l’employé chargé d’éplucher les patates est malade.

Pour le public à la santé fragile, mieux vaut donc apporter directement des acides gras EPA et DHA, appelés couramment oméga-3 marins, parce qu’on les trouve principalement dans les poissons et fruits de mer. Pour les végétariens, pas de panique, ils sont présents dans les algues et, aussi pour les compléments alimentaires, dans les gélules à base de krill (plancton).

Les graisses « trans » à éviter

Les acides gras trans (AGT) sont des acides gras à l’origine polyinsaturés dont la structure moléculaire a été inversée et qui n’a plus les mêmes propriétés. La faute à la cuisson. Plus la température est élevée, plus elle provoque une agitation des atomes qui rend les liaisons moléculaires instables. Ainsi, un acide gras normalement sous sa forme « cis » devient « trans ». Et il ne joue plus le même rôle dans l’organisme. Leur inclusion au sein de la membrane des neurones empêche ces derniers d’envoyer et de recevoir correctement les signaux.

Pour les personnes en surpoids, ces graisses modifiées sont une vraie plaie. Si un excès de graisses peut vous faire grossir, les graisses trans empêchent de perdre du poids et vous poussent même à manger davantage ! Il existe une hormone, la leptine, qui renseigne le cerveau sur le niveau de nos réserves de graisses, régulant ainsi nos apports alimentaires. Mais la leptine ne pourra remplir sa tâche que si les graisses stockées sont reconnaissables. Or, la leptine ne reconnaît pas les acides gras trans. Les adipocytes (notre garde-manger) peuvent rester pleins mais le cerveau nous demande de retourner faire des courses. Autrement dit, les acides gras trans empêchent d’accéder au stock de graisses et de le brûler. Plus pernicieux encore, il a été montré qu’ils déshabituent notre système perceptif à reconnaître les véritables aliments. C’est ainsi que de jeunes enfants, déjà gros consommateurs de produits industriels, font une grimace sans appel devant des fruits et légumes sains.

Les acides gras trans peuvent par ailleurs altérer la composition du microbiote intestinal, notamment favoriser la prolifération des bactéries de type firmicute au détriment des bactéroïdetes, ce qui entretient un climat inflammatoire. C’est embêtant lorsqu’on connaît l’importance de l’axe intestin-cerveau sur la santé mentale. Une étude récente menée sur plus de 3 000 femmes en milieu de vie (40-50 ans) montre une association des apports alimentaires en acides gras trans avec les symptômes dépressifs. Ils participeraient aussi aux maladies neurodégénératives. Une étude récemment parue dans la revue Neurology, incluant 104 personnes âgées (moyenne d’âge de 87 ans), montre que de mauvais scores à différents tests de mémoire et de réflexion sont associés à des taux plasmatiques élevés d’acides gras trans.

Un excès de ce type de graisses n’est donc pas sans conséquence sur la santé. On les trouve typiquement dans les confiseries, pâtisseries et pâtes à tartiner industrielles, mais aussi dans tout type de friture, y compris faite maison, avec les meilleures intentions du monde ! Lorsque vous achetez des huiles, veillez à ce qu’elles soient de « première pression à froid ». Si cette mention ne figure pas sur la bouteille, alors l’huile a probablement été chauffée. Les seules huiles végétales relativement stables à la cuisson, pour peu que celle-ci reste douce, sont les huiles d’olive et de coco. Sinon, mieux vaut cuire avec des graisses saturées, d’origine animale, à condition de ne pas en abuser car c’est évidemment moins conseillé pour la ligne.

Des nutriments d’avenir pour la psychiatrie ?

Les troubles psychiatriques, ce n’est pas que dans l’esprit. Il existe aussi des facteurs, voire des causes biologiques. Nous devons définitivement abandonner l’idée des maladies mentales d’un côté, et des maladies corporelles de l’autre. La frontière corps/esprit est tombée depuis que nous avons découvert que l’interaction permanente entre le cerveau, les glandes endocrines, le système immunitaire et l’écosystème intestinal était déterminante pour nos états d’âme. C’est ce qu’on a appelé la psycho-neuro-endocrino-immunologie. À vos souhaits !

Dans la dépression chronique, résistante aux traitements, on retrouve très souvent un syndrome inflammatoire et un intestin en mauvais état. Les analyses biologiques montrent un déficit en oméga-3, un excès d’oméga-6 pro-inflammatoires (acide arachidonique) et un excès d’AGT. Nous savons que l’EPA a un effet positif sur l’humeur, avec un effet visible au bout de quelques semaines de supplémentation. En 2008, une étude en double aveugle contre placebo, conduite sur un large panel de patients dépressifs, a comparé l’effet d’un gramme d’EPA avec celui d’un comprimé de fluoxétine, un antidépresseur. L’évaluation s’est faite en se basant sur l’échelle de Hamilton, mesurant l’intensité d’une dépression. Le résultat est édifiant : 50 % d’amélioration dans le groupe qui a pris l’antidépresseur, 56 % dans le groupe EPA et 81 % chez les personnes qui ont combiné les deux. Non seulement l’EPA est capable d’améliorer l’humeur mais il augmente l’efficacité du médicament.

Privilégier les sources alimentaires d’AGPI

Les bienfaits des acides gras continuent d’être explorés dans d’autres domaines, comme récemment leur implication dans la plasticité cérébrale (capacité du cerveau à réorganiser les réseaux de neurones) chez les personnes atteintes de troubles du spectre autistique. Une méta-analyse (compilation d’un certain nombre d’études) conclue à une amélioration de la cognition et du comportement grâce à une alimentation riche en acides gras polyinsaturés (AGPI).

L’influence positive d’un régime de type méditerranéen, riche en acides gras polyinsaturés, sur le déclin des fonctions cérébrales, est scientifiquement établie. Pour le Dr Bernard Aranda, neurologue, « L’intervention nutritionnelle et micronutritionnelle dans les formes débutantes de maladie d’Alzheimer et en prévention dans la plainte mnésique et les troubles dits bénins de la mémoire est scientifiquement justifiée. » Le Dr Frédéric Calon et son équipe, dans une étude menée auprès de l’université de Californie à Los Angeles, ont constaté que les symptômes de la maladie d’Alzheimer étaient aggravés en cas d’apports insuffisants en oméga-3. Il n’existe actuellement aucun traitement curatif pour la maladie d’Alzheimer, au-delà d’en limiter les symptômes. La prévention est donc capitale. Une étude japonaise de 2020 met en évidence une association entre la consommation d’acide gras polyinsaturés en milieu de vie et la démence en fin de vie. Un apport élevé de poissons en milieu de vie pourrait aider à prévenir la démence.

Pour autant, ne misez pas tout sur la nutrition. Devant un état dépressif ou un stress chronique, entreprendre un travail psychologique s’avère souvent nécessaire. Le comble, c’est qu’une personne stressée digère mal les acides gras ! La digestion des lipides dépend d’une bonne sécrétion de bile, qui contient les enzymes nécessaires à émulsifier les graisses. Un processus souvent malmené par le stress chronique – ne dit-on pas « se faire de la bile » ? – qui entraîne une contraction permanente de la vésicule biliaire, laquelle se trouve alors vide au moment de la digestion. Nous ne sommes pas plus réductibles à une tête qu’à un ventre.

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Dimitri Jacques

est psychonutritionniste libéral, journaliste scientifique et formateur en micronutrition. Élève du Pr Vincent Castronovo, il est l'auteur de plusieurs ouvrages de santé et se consacre à l'étude des relations entre esprit et biologie. Il est engagé auprès d'associations de prévention en santé mentale et de structures éducatives.

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