L’âme en éveil, le corps en sursis : un témoignage d’anorexie spirituelle

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On retrouve dans l’histoire de Sabrina tous les ingrédients de ce qu’on appelle l’anorexie mystique : profond mal-être existentiel, impression de ne pas être « d’ici », aspirations élevées et sentiment d’être appelée vers le haut, désir ardent d’aider les autres et d’améliorer le monde, dureté et intransigeance dans son combat. On perçoit au détour de chaque idée la lutte entre le bien et le mal qui se mélangent, l’un faisant aussitôt ressortir l’autre. Dans ce qu’il faut bien appeler une maladie de l’âme, un besoin d’infini qui ne trouve pas à se dire dans les voies convenues de la société.

Nous sommes d’emblée confrontés à la question de la prise en charge médicale qui, malgré de récents progrès, est encore à cent lieues de réunir les conditions propices à la guérison. Sabrina se retrouve dans l’enfer d’un monde hospitalier qui porte bien mal son nom, incapable de l’accompagner véritablement. Ce qui soulève inévitablement la question du regard que notre société porte sur les personnes qui refusent d’entrer dans les tiroirs et dont non seulement l’apparence physique mais aussi le mode de pensée, presque subversif, dérange et fait peur.

Une émotion plane sur l’ensemble de son récit, c’est cette colère dont elle ne sait que faire. Derrière la combattante qui ne baisse jamais les armes se cache une petite fille qui a grandi trop vite, empêtrée dans ses manques affectifs et des liens familiaux complexes. Dans sa course à la perfection, elle n’a pas appris à communiquer et les non-dits se sont accumulés.

Pour en sortir, il faut la transformer, et on sent bien que Sabrina ne cherche pas seulement un exutoire, elle cherche son chemin. Dépourvue de sens, la vie n’est que souffrance et ne lui semble pas la peine d’être vécue. Elle sent bien qu’elle n’est pas là par hasard, qu’elle doit accomplir quelque chose. C’est un besoin impérieux qu’aucune considération matérielle ne saurait lui faire oublier.

Il n’y a pas chez Sabrina cette volonté de se faire du mal qu’on retrouve fréquemment chez les anorexiques et que je décris dans mes propres textes. Il y a une volonté de faire du bien qui ne parvient pas à se mettre en œuvre, ce qui la pousse à se détester et inconsciemment à s’autodétruire. Voilà sans doute ce qui arrive lorsque des idéaux élevés rencontrent un besoin implacable de perfection et de contrôle.

Au fil de l’histoire pourtant, on voit le dialogue intérieur s’ouvrir, la colère laissant place peu à peu à la compassion, la gratitude et l’amour inconditionnel. Qu’est-ce qui va finalement décider d’une issue positive ? Il y a clairement à un moment donné l’âme qui descend, le pourquoi de sa vie qui revient sur le devant de la scène et qui dit : voilà ce que tu es. Dès lors, il lui faut rester. Arrêter de chercher à contrôler des illusions, se sentir vivante, prendre conscience qu’à chaque instant nous vivons une expérience et que celle-ci peut se faire dans la joie.

La torture mentale est insoluble jusqu’au jour où l’on s’autorise à changer notre façon de regarder le monde. Sabrina découvre la méditation puis l’hypnose. Les rencontres et les conversations philosophiques avec des gens positifs se multiplient. Les bons livres lui tombent dans les mains en réponse à ses interrogations. Elle reçoit des messages de ses anges qui la confortent et la guident. Ce n’est pas la guérison qui conditionne la liberté mais l’inverse.

Son besoin de renouer avec l’essentiel est enfin nourri. On ne se rend pas compte à quel point nous nous en sommes éloignés ni à quel point cela peut nous rendre fous. C’est là une dimension présente chez de nombreuses anorexiques qu’on ne peut pas éluder, qui pointe la dimension spirituelle, c’est-à-dire les plus hautes interrogations de l’être l’humain, la question du sens à donner à l’existence, l’élévation du niveau de conscience et l’évolution de notre espèce. Si les anorexiques ne rencontrent personne, non pour leur apporter une réponse mais simplement réfléchir avec elles à ces questions, je crains qu’il n’y ait pas grand-chose qui les retienne ici-bas.

On ressort de la lecture avec le sentiment global qu’on attend d’un témoignage : qu’il soit authentique et reflète une vérité intérieure. On retrouve un certain franc-parler dont Sabrina fait sa marque. La pertinence de ses propos permet à toute personne qui a connu l’anorexie mentale de se retrouver au détour d’un mot fort ou d’une anecdote. Et qui sait, elle permettra aussi de faire converger de bonnes volontés, tant les gens qui souffrent en silence de cette maladie sont légion.

Je retiens du livre de Sabrina son désir inébranlable de transformer la souffrance passée en force de créativité. C’est un véritable traité de psychologie positive, du point de vue d’une ex-patiente qui a choisi le bonheur pour s’en sortir coûte que coûte.

Dimitri Jacques

est psychonutritionniste libéral, journaliste scientifique et formateur en micronutrition. Élève du Pr Vincent Castronovo, il est l'auteur de plusieurs ouvrages de santé et se consacre à l'étude des relations entre esprit et biologie. Il est engagé auprès d'associations de prévention en santé mentale et de structures éducatives.

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