Des intolérances alimentaires impliquées dans les troubles mentaux

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Croyez-le ou non, il est possible de développer des états dépressifs ou des troubles du comportement juste en consommant des aliments que l’intestin ne parvient pas à digérer correctement. Ce sont les intolérances alimentaires, à présent connues du public mais dont nous peinons encore à admettre l’ampleur des conséquences sur la santé. Entre autres, elles peuvent provoquer une inflammation chronique qui va perturber le fonctionnement du cerveau.

Intolérances, de quoi parle-t-on ?

L’allergie correspond à une perte de tolérance, c’est-à-dire que le système immunitaire réagit de manière excessive face au non-soi. Il sort l’artillerie lourde face à des antigènes habituellement reconnus comme inoffensifs. Les réactions sont généralement très rapides, parfois dangereuses (détresse respiratoire ou cardiaque). Elles sont accompagnées par des médecins allergologues qui peuvent proposer une désensibilisation.

L’intolérance vraie et permanente au gluten s’appelle la maladie cœliaque. Il s’agit d’une maladie inflammatoire chronique à composante auto-immune, c’est-à-dire que la muqueuse est attaquée et produit elle-même des substances qui accélèrent sa dégradation. Elle est provoquée par une réaction croisée à des peptides, la gliadine et la transglutaminase, issus de la dégradation incorrecte des protéines de gluten. Les personnes atteintes doivent s’astreindre à un régime strict sans gluten.

Viennent ensuite les intolérances alimentaires – ou hypersensibilité – qui sont à distinguer des allergies, même si l’on peut en retrouver certains symptômes. Il s’agit d’une réaction retardée, plusieurs jours après l’absorption, à des protéines alimentaires incomplètement dégradées puis entrées dans la circulation générale par un intestin poreux. Elle est médiée par la production d’anticorps IgG. C’est beaucoup plus insidieux qu’une allergie ou une maladie cœliaque car la réaction est tardive, non aigüe et ne permet pas de faire le rapprochement avec l’aliment incriminé que l’on continue à consommer, installant un phénomène chronique. Tout aliment qui déclenche une réaction immunitaire par sécrétion d’IgG au-delà d’un certain seuil physiologique est considéré comme une hypersensibilité. Seules des analyses biologiques, devant un tableau clinique suspect, permettront de trancher.

Des aliments non reconnus qui augmentent la perméabilité intestinale

Si nous acceptons le modèle inflammatoire des maladies mentales1, alors nous devons absolument comprendre les mécanismes sous-jacents de l’inflammation systémique. Les protéines activant la réaction immunitaire, telles qu’on en trouve dans le blé et les produits laitiers, sont peut-être à considérer comme des déclencheurs cruciaux. Le blé moderne, pour répondre aux exigences de rendement, a subi de nombreux croisements d’espèces et hybridations. Il est aujourd’hui un des aliments les plus hautement transformés, dont le rendu final pourrait se résumer à une farine à index glycémique élevé, par ailleurs resucrée, avec des additifs et des perturbateurs endocriniens. Les produits laitiers sont homogénéisés, stérilisés, dénaturant la structure des protéines et rendant inassimilables une bonne partie des nutriments.

Le gluten est une protéine présente dans les graines de céréales (principalement le blé, l’orge et le seigle) et sert à faire germer la plante. Une équipe de chercheurs a découvert en 2003 que la digestion incomplète du gluten provoquait une surproduction de zonuline, molécule qui actionne l’ouverture des jonctions serrées entre les cellules de la muqueuse. Parce qu’il n’est pas reconnu, le gluten se retrouve avec la clé de notre barrière intestinale ! Il s’ensuit une hyperperméabilité permettant à des éléments présents dans la lumière intestinale (toxines bactériennes, peptides alimentaires) d’accéder au flux sanguin, où ils jouent un rôle significatif dans l’inflammation systémique à laquelle sont associés certains symptômes psychiatriques.

Il est démontré que la surproduction de zonuline peut être déclenchée par une exposition aux bactéries, au stress ou à certains aliments. La gliadine se lie au récepteur CXCR3 et augmente la perméabilité intestinale. On retrouve ensuite une concentration sérique élevée de cytokines pro-inflammatoires et de radicaux libres. Dans un intestin normal, la sécrétion de zonuline par des entérocytes exposés à la gliadine reste limitée dans le temps. Mais pas chez les personnes intolérantes au gluten. L’écosystème intestinal est souvent déjà fragilisé par un manque de fibres, un excès de sucres, de mauvaises graisses et parfois de protéines, une insuffisance enzymatique, un stress psychologique chronique, un recours trop régulier aux antibiotiques ou à certains médicaments. Des facteurs hélas très faciles à réunir dans l’occident moderne.

La tolérance immunitaire est une mécanique très fine et bien pensée. Les cellules M et les cellules dendritiques sondent et échantillonnent en permanence la lumière intestinale. Un motif moléculaire de tout ce qui transite dans l’intestin – y compris chaque aliment que nous consommons – est ainsi prélevé, analysé et comparé avec le registre immunitaire pour décider de ce qui peut ou non entrer dans l’organisme, sans nécessairement provoquer de réponse immunitaire. C’est le principe de la tolérance. L’hyperperméabilité intestinale court-circuite cette mécanique. Un antigène non échantillonné va arriver directement dans la couche basale et provoquer une réaction inflammatoire. La présence dans le sang d’IgG spécifiques des bactéries commensales ou des protéines alimentaires est révélatrice d’un dysfonctionnement de ce système.

Humeur et comportement modifiés par des peptides alimentaires

On compte un nombre croissant de rapports sur le rôle du tractus digestif dans l’étiologie de la dépression. Des infirmières travaillant auprès d’un public schizophrène ont rapporté qu’elles constataient une nette différence dans le comportement des malades lorsqu’ils traversent un épisode de constipation ou de troubles intestinaux. Des cas de symptômes psychiatriques ont été rapportés chez des personnes exposées même brièvement à un aliment intoléré. Comme cet enfant de 11 ans qui suivait un régime sans gluten depuis la petite enfance et qui a dû en consommer à nouveau. Au bout d’une semaine seulement, son humeur s’est effondrée avec même des idées suicidaires. L’humeur est redevenue normale quelques jours après l’arrêt du gluten.

Une équipe de chercheurs a découvert2 que des allergies retardées de type III pouvaient entretenir des troubles du comportement alimentaire. J’ai moi-même eu plusieurs cas en cabinet, dont un flagrant. Une jeune femme de 23 ans, atteinte de boulimie et d’un état dépressif qui perdurait malgré les antidépresseurs successifs et la psychothérapie. Des analyses ont révélé des taux record d’anticorps IgG au gluten et aux protéines de lait. Découvrir les preuves de causes biologiques dans sa pathologie lui a permis de déculpabiliser. Une fois son nouveau régime alimentaire en place, elle s’est resocialisée en moins de trois mois.

Dans la boulimie, où l’aliment devient une drogue, on a observé dans le sang la présence de substances opioïdes qui ont pour origine des aliments mal dégradés. Lorsque l’intestin est en mauvais état, des peptides se retrouvent dans la circulation et peuvent aller jusqu’au cerveau. De par leur structure moléculaire analogue à certains dérivés morphiniques, ils se fixent sur les récepteurs opiacés, favorisant les comportements addictifs. Une digestion incomplète du gluten et de la caséine de lait produit des substances agissant sur le cerveau et le système nerveux central, ce qui est susceptible de perturber les signaux de faim et de satiété, et à la longue de modifier notre perception de la nourriture.

Sur le long terme, la dépression chronique fait le lit des maladies neurodégénératives. Et il semblerait que les aliments intolérés, chez certains patients, y participent directement. Les épisodes dépressifs sont associés non seulement aux changements dans la neurotransmission au niveau du système nerveux central, mais peuvent aussi conduire à des modifications structurelles dans le cerveau, via des mécanismes neuroendocriniens, inflammatoires et immunitaires. De plus, lorsque le système immunitaire réagit envers un peptide alimentaire considéré comme ennemi, les anticorps peuvent se lier aux tissus cérébraux avec lesquels ils partagent des séquences d’acides aminés. Une étude incluant 400 volontaires a montré que la moitié de ceux qui réagissaient au blé et/ou aux produits laitiers réagissaient aussi à des peptides appartenant aux tissus cérébraux.

Le dosage sanguin des IgG controversé et pourtant utile

En France, les tests qui permettent de diagnostiquer l’hypersensibilité alimentaire ne sont pas reconnus par l’académie de médecine et ne sont pas remboursés. Ils le sont pourtant aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. Les détracteurs reprochent notamment le caractère non spécifique des IgG alimentaires qui refléteraient un processus physiologique normal. Cet argument ne tient pas la route. Dans la vaccination, les IgG sont reconnus comme marqueurs de la mémoire immunitaire contre les agents infectieux. Il est démontré qu’ils sont bien sécrétés pour assurer une immunisation. Les IgG de type 4, les seuls à être protecteurs, représentent une infime partie des IgG totaux sériques. Un dosage élevé des IgG est donc bien révélateur d’une réaction immunitaire spécifiquement dirigée vers des antigènes alimentaires. Cliniquement, les personnes qui montrent des taux élevés d’IgG sont presque toujours symptomatiques et voient leurs symptômes s’améliorer à l’éviction de l’aliment. A ces taux là, il ne peut en aucun cas s’agir d’un phénomène physiologique normal qui serait constaté sitôt après la digestion. Une hypersensibilité met des années à s’installer, chez des gens qui souffrent généralement de troubles chroniques.

Enfin, être négatif aux tests habituels ne signifie pas que tout va bien. Il existe de nombreuses fausses allergies liées aux additifs alimentaires. On ne réagit pas à l’aliment en lui-même mais aux molécules de synthèse qui sont ajoutées au long de la chaîne de traitement. Une personne croit être intolérante au blé et les tests ressortent négatifs sur une farine pure, tandis qu’ils seront positifs sur une farine industrielle bourrée d’additifs. Il est vrai que reconnaître la validité des tests d’hypersensibilité revient à reconnaître qu’il existe effectivement un problème avec certains aliments courants et ce n’est pas bon pour le commerce.

Nous avons tendance à croire qu’une fois un aliment digéré, tout va bien. Pourtant, lorsqu’un nutriment non reconnu entre dans la circulation sanguine, le système immunitaire réagit et mobilise des moyens de défense et d’élimination comme s’il s’agissait d’un ennemi, même si nous n’en percevons pas immédiatement les symptômes ou si nous ne faisons pas le lien avec ces symptômes. Consommer régulièrement des aliments auxquels nous sommes intolérants sans le savoir revient à entretenir une infection chronique. Et lorsque nous sommes malades, nous ne sommes pas psychologiquement très performants.

(1) Cf mon précédent article La dépression, une maladie inflammatoire ?
(2) Lire à ce propos Je mange ce qui me réussit – Dr Roger Mussi, 2015, Flammarion

Dimitri Jacques

est psychonutritionniste libéral, journaliste scientifique et formateur en micronutrition. Élève du Pr Vincent Castronovo, il est l'auteur de plusieurs ouvrages de santé et se consacre à l'étude des relations entre esprit et biologie. Il est engagé auprès d'associations de prévention en santé mentale et de structures éducatives.
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