Des liens entre l’autisme et l’anorexie mentale

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Un hyper-contrôle avec une préoccupation excessive des détails, des comportements obsessionnels et répétitifs, l’enferment dans des rituels, une rigidité psychologique et un repli sociorelationnel. Ces caractéristiques bien connues de l’anorexie appartiennent aussi au champ de l’autisme, dont l’étymologie grecque signifie « soi-même ». Il fallait y penser.

Une équipe de recherche de l’université de Cambridge a évalué les tendances autistiques des anorexiques. L’étude comparait un groupe de 66 jeunes filles anorexiques âgées de 12 à 18 ans à un groupe de personnes du même âge prises dans la population générale. Les résultats ont été publiés dans la revue scientifique spécialisée Molecular Autism de juillet 2013. Les scores obtenus par le groupe d’anorexiques étaient nettement plus proche des critères habituels de l’autisme.

Je ne suis pas surpris. Il y a dans l’anorexie une hypersensibilité et une forte acuité émotionnelle qui peuvent conduire la personne à se protéger de la vie qui fait peur et qui fait mal.

En 2011 déjà, une méta-analyse conduite par l’Université de Montréal et incluant 26 études cliniques, montrait que les autistes ont, de naissance, une sensibilité perceptive nettement accrue. A l’imagerie cérébrale, les régions associées à la perception et la reconnaissance des objets laissent apparaître une plus grande activité.  Derrière le mutisme et le déficit relationnel se trouve donc une supériorité dans la perception de l’environnement. Une neuropsychologue ayant participé à l’étude déclare que les autistes ont une intelligence différente du reste de la population et un potentiel qui doit être mis en valeur.

Lorsque le cerveau est incapable d’opérer une discrimination parmi les signaux de perception de l’environnement, cela conduit logiquement à une exacerbation sensorielle doublée d’une saturation. C’est par exemple l’impossibilité de tenir une conversation parce qu’il y a un « bruit de fond » qui ne peut pas être éliminé. Autrement dit, on perçoit avec une grande acuité mais sans aucune maîtrise certains détails que les autres ne voient pas, du coup on surcharge très vite et par réflexe on se coupe de la source de stimuli. Le monde est perçu comme très chaotique, parfois fascinant mais dans l’ensemble tout à fait insécurisant. Et comme nos émotions sont liées à ce que nous percevons de notre environnement, il y a une tempête émotionnelle et on va aussi se couper des émotions.

Chez l’anorexique, la tentative de contrôle de ce phénomène  entraine une autre tempête, mentale. Une des caractéristiques de l’anorexique est de n’avoir jamais l’esprit au repos. De cette foule d’informations qu’elle perçoit, elle veut tout saisir, tout comprendre et ne rien lâcher avant d’avoir parfaitement maîtrisé le sujet. En dépit des résultats scolaires ou professionnels que cela peut lui apporter, elle s’en veut et se déteste de ne pas y parvenir entièrement. Elle perçoit tout et tout ce qui est perçu doit être contrôlé. Difficile de se concentrer sur des objectifs et de mesurer sa capacité à y répondre.

Si l’autiste peut être intolérant aux changements, parce qu’il s’accroche à des détails-repères, l’anorexique peut construire toute une économie psychique autour de certains détails et chercher à les maintenir sous contrôle.

On peut y voir une réponse à la caricature de notre civilisation occidentale moderne où l’on s’agite à maitriser les conséquences des problèmes sans avoir vraiment pris le temps d’observer. Le citoyen d’aujourd’hui est sollicité de toutes parts, dans un monde de communication à outrance où chacun parle mais personne n’écoute vraiment. L’enseignement se perd en détails techniques et complexes qu’il faut maîtriser alors que l’essentiel et le sens sont perdus de vue.

Je pense que certains jeunes lucides et sensibles étouffent dans des structures sociales étriquées, ils souffrent de la lourdeur de ce monde et peuvent en devenir malades. Si nous voulons que notre société devienne meilleure, nous devons aider nos enfants à s’accomplir.

Plutôt que s’attarder sur la nourriture et les questions de poids, qui constituent le terrain que le patient contrôle, le traitement de l’anorexie devrait mettre l’accent sur la rééducation des comportements sociaux et améliorer l’adaptation aux changements. C’est tout le système relationnel des patients qui est malade et doit être reconstruit.

D’où l’importance des thérapies psycho-corporelles, reconnues pour améliorer la conscience sensori-motrice. Celles-ci permettent aux patients d’apprendre à canaliser leurs perceptions et de répondre aux stimuli de l’environnement de manière adaptée. Avant de fouiller leur passé et leurs difficultés, convient-il de les relier au présent, au bonheur de vivre ici, dans un corps et parmi les terriens si j’ose dire.

Certaines formes d’anorexie ne seraient-elle pas en réalité un autisme, dont le trouble alimentaire ne serait qu’un symptôme supplémentaire ? La question mérite d’être posée. Pour les chercheurs qui ont travaillé à cette étude, le diagnostic d’autisme pourrait être sous-évalué. A mon sens, le système de santé actuel est excessivement sectorisé, ce qui gêne une compréhension globale de la personne et de son histoire.

Dimitri Jacques

est psychonutritionniste libéral, journaliste scientifique et formateur en micronutrition. Élève du Pr Vincent Castronovo, il est l'auteur de plusieurs ouvrages de santé et se consacre à l'étude des relations entre esprit et biologie. Il est engagé auprès d'associations de prévention en santé mentale et de structures éducatives.

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